Réduction

Publié le par Bidou

L’affaire des réductions SNCF pour les familles nombreuses a provoqué bien des émois. La question des allocations familiales en ajoute si besoin en était. La politique familiale est une fois encore au cœur des débats. Comme vous le savez, la question démographique est très présente dans tout discours sur le développement durable et l’avenir de la planète, et par suite la politique familiale. Si ce terme signifie action d’ordre social, mutualisation de charges, solidarité, ce sont bien des références explicites au développement durable que l’on retrouve. Cette aide est nécessaire. S’il s’agit de favoriser une croissance démographique, comme une solution à tous nos problèmes, alors il y a un sérieux malentendu. Beaucoup croient que le problème, c’est le vieillissement. Pour eux, il faut lutter contre ce phénomène, et c’est la natalité qui est la réponse, car on sait bien que ce n’est pas sur l’âge au décès, l’espérance de vie, qu’il faut jouer. L’allongement de la durée de vie, très net jusqu’à présent dans nos sociétés, ne peut être regretté, d’autant qu’il s’accompagne d’une amélioration générale de la santé et de la bonne forme à tous les âges. C’est une affaire de proportion, la part des jeunes, des « actifs », et des vieux, voilà ce qui compte. Pour maintenir une bonne proportion de jeunes et d’actifs, il faut des naissances, il faut des nouvelles entrées dans le système.

Ce raisonnement n’a de sens que dans un monde infini, alors que nous savons, depuis Paul Valéry, que nous sommes entrés dans le temps du monde fini. Nous serons bientôt, d’ici une génération, 9 milliards d’êtres humains sur Terre, avec des exigences légitimes d’accès à des richesses, ne serait-que pour vivre dans la dignité. La pression sur les ressources sera encore plus forte que celle que l’on observe aujourd’hui, et chacun s’accorde sur le fait que la population mondiale ne peut s’accroître à l’infini. Le simple fait de stabiliser le nombre d’être humains est synonyme de vieillissement. C’est un phénomène inéluctable, bien engagé dans les pays de la « vieille Europe », mais qui va se manifester aussi très vite en Asie, notamment au Japon et bientôt en Chine, avec les politiques très vigoureuses de maîtrise de la natalité qui y ont été menées. Il faut donc se préparer à vivre et à se développer dans des sociétés bien différentes de celles où nous sommes nés, avec des équilibres démographiques très éloignés de ceux sur lesquels sont fondés notre organisation sociale et nos modes de production. Retarder l’échéance, et espérer que notre communauté fera exception dans le monde, que l’on peut continuer une croissance démographique en France dans un monde dont la population se stabilise, serait pure illusion, et empêcherait de chercher activement une issue constructive au défi qui nous est lancé.

C’est pourtant ce qui se passe sous nos yeux. Certains croient encore que les questions telles que la retraite peuvent se résoudre en conservant la même géométrie d’ensemble, et en poussant simplement quelques curseurs, comme l’âge légal de départ à la retraite, ou les taux de cotisation des uns et des autres. C’est le royaume de la rustine, alors qu’il faut non seulement changer de roue, mais sans doute de véhicule.

Ces réponses s’avèrent en général inefficaces, il faut les renforcer à l’infini, et elles créent une atmosphère de régression, de retour à des conditions de vie anciennes, que l’on croyait abolies avec le progrès[1].

Le développement ne sera durable que si l’on sait faire preuve de lucidité, en acceptant de regarder l’avenir en face. Le vieillissement est l’avenir de l’humanité, et de nos sociétés occidentales en premier. Plutôt que de retarder l’échéance et finalement de se laisser surprendre, il vaut mieux s’organiser. Qu’est-ce que cela veut dire, au quotidien, dans notre organisation sociale et économique, dans nos villes et nos villages ? Comment se préparer intelligemment à cette évolution, pour que le progrès soit tendu vers une atténuation des mauvais côtés de la chose et une amplification des atouts qu’elle comporte ? La division de la vie en périodes d’apprentissage, de travail, et de repos bien mérité doit sans doute être revue, avec une meilleure perméabilité entre elles, la recherche de productivité du travail, la lutte contre sa pénibilité, la manière de redistribuer les revenus, la place des jeunes et celle des anciens dans une société moderne, sans exclusion et avec le souci d’une intégration maximale de toutes les énergies. Le débat est, on le voit, beaucoup plus riche qu’une simple négociation entre partenaires sociaux sur la répartition des charges. Il donne sur la question de l’immigration un éclairage différent, du moins pendant la période intermédiaire, plusieurs dizaines d’années, où il y aura encore des pays aux populations très jeunes et d’autres, au contraire, où la population sera nettement plus âgée. Quels échanges, quel type de relations entretenir pour que les deux types de pays soient gagnants ?

Voilà un beau plan de charge, pour préparer le futur. Et plus enthousiasmant que le grappillage de quelques sous ici et là, que le marchandage de quelques avantages. Cet avenir à construire ne peut l’être sans la participation active de tous les acteurs de la société. Il y aura toujours les intérêts immédiats à gérer, avec les modes habituels de négociation, mais il faut aller au-delà, et mettre en place la construction commune de l’avenir. Nos pays de la vieille Europe, parfois objet de risée, ont un rôle privilégié à tenir dans cette étape de l’aventure de l’humanité. Premiers confrontés au vieillissement, à la pénurie de matières premières, au manque d’espace et de nature vierge, et marqués profondément par des cultures à la fois riches et archaïques, ces pays doivent ouvrir ce débat crucial et explorer de nouvelles voies de développement. Ce sera plus intéressant que le holdup sur quelques avantages sociaux, dans une atmosphère de cacophonie qui ne peut qu’affaiblir la ressource essentielle dont nous avons besoin pour se lancer dans l’aventure : la confiance.


Prochaine chronique : Ecran

[1] Progrès (02/10/2006

 

Publié dans developpement-durable

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