Argent

Publié le par Bidou

 Voilà un des mots les plus courants, sous cette forme ou des formes plus familières, telles que pognon, fric, ou encore oseille ou artich pour faire honneur au règne végétal.


L’argent est une de nos préoccupations premières, et il en a souvent fait oublier d’autres. Peut-on l’isoler de l’environnement ? peut-on défendre l’environnement sans se préoccuper de l’économie ? On est frappé de voir que l’équation environnement-économie est très mal posée, tant par les tenants de l’environnement que par ceux de l’économie.


Un exemple frappant nous est fourni par la traduction par la presse de conclusions d’une étude sur les données économiques de l’environnement dans une région. Il s’agissait de faire la somme de toutes les dépenses publiques et privées que l’on pouvait attribuer à l’environnement : alimentation en eau et assainissement, déchets, améliorations du cadre de vie, lutte contre le bruit et les nuisances, etc. Deux titres illustrent la difficulté d’interprétation de ces chiffres : pour un journal, l’environnement coûte tant d’euros, et pour un autre, il pèse tant d’euros. Ce sont les deux facettes de la même médaille, d’un côté une demande et la dépense correspondante, de l’autre l’activité économique nécessaire pour répondre à la demande ; d’un côté des prélèvements pour faire face, de l’autre des chiffres d’affaire et des emplois. Deux approches bien classiques, mais toutes deux fausses, bien sûr, car la valeur de l’environnement ne peut être réduite aux seules sommes que nos dépensons pour le préserver. Le coût du bruit, par exemple, est infiniment supérieur aux budgets alloués chaque année pour lutter contre ce fléau. Les coûts en santé, journée de travail perdues, troubles du sommeil, dépréciation de biens exposés, etc. n’ont rien à voir avec l’argent dépensé pour construire des murs antibruit, refaire quelques chaussées, et isoler quelques maisons.


L’équation économique est d’autant plus difficile à poser que les interférences sont nombreuses. Les dépenses pour l’environnement sont faciles à identifier dans les systèmes que l’on appelle souvent « bout du tuyau », quand il s’agit de traiter des pollutions que l’on n’a pu éviter, ou les déchets des ménages. Telle ville est tenue de réaliser un station d’épuration pour les eaux usées, et une usine de traitement des déchets de ses habitants. Mais une industrie peut choisir de réduire ses effluents à l’occasion d’une modernisation de ses process, et la réglementation acoustique va produire des logements moins exposés au bruit sans que, dans ces deux cas, on ne puisse affecter explicitement de dépenses à l’environnement.


De même pour l’emploi. Il y a bien sûr des emplois spécifiques de l’environnement, dans l’eau, les déchets, le paysage, la chasse et la pêche notamment, mais nombreux sont les emplois « ordinaires » qui ont une mission à remplir pour l’environnement. Quand un plombier réduit la consommation d’eau en installant une chasse d’eau à double vitesse ou en lutant contre des fuites, il rend un service à la fois économique et environnemental. De même quand un laboratoire met au point une technique performante d’un point de vue sensible, comme l’énergie, l’eau, ou pour substituer un matériau courant à une ressource rare ou à un produit toxique.


Séparer environnement et argent n’a pas de sens, et présente le risque de biaiser les raisonnements, d’amener à négliger tous les apports intégrés ou spontanés. Telle forêt qui protège une nappe d’eau alimentant toute une agglomération n’est jamais comptée comme usine de purification, tel marais qui régule le débit d’un fleuve n’est pas compté comme un équipement construit de main d’homme et intégré de ce fait dans l’économie, avec investissement et fonctionnement.


Mal posée, l’équation économique de l’environnement met en valeur des coûts plutôt que des valeurs, et néglige les apports de la nature, que ce soit des matières premières, dont la valeur est réduite au coût de leur extraction ou de leur cueillette, ou des services qu’elle nous procures (aménités, régulations, etc.). Elle freine l’évolution vers la « dématérialisation » de l’économie, pourtant une des voies privilégiées du développement durable. Elle conduit à rechercher des « compromis », à « concilier » des intérêts présentés ainsi comme contradictoires, alors qu'ils sont étroitement imbriqués, et que ce sont les modalités de calcul et d'analyse qui sont incapables de rendre compte de la convergence qui existe dans les faits. Argent et environnement sont inséparables, et seule une vision intégrée permet d’avancer.

Publié dans developpement-durable

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