Les autres

Publié le par Bidou

C’est l’enfer, bien sûr, en particulier sur la plage où je cherche en vain un peu d’espace. C’est aussi le plaisir de la rencontre et la richesse des relations. On l’a dit souvent dans ce blog, et personne ne l’a démenti, nul ne détient à lui tout seul les clés du développement durable. Il faut bien accepter que les autres existent, malgré les risques que cela comporte de mauvaises fréquentations. Le développement durable, c’est l’intelligence à plusieurs.

Entre le repli, la peur ou le rejet des autres, et l’ouverture, l’écoute des autres, le débat est ouvert. Il n’est pas récent, mais les nouveaux modes de communication, l’explosion des échanges internationaux, éclairent le problème d’un jour nouveau.

Dans un cas, devant les dangers de la confrontation avec les autres, on ne prend pas de risque, on se replie sur soi, l’enfer c’est vraiment les autres. Tant pis pour le risque d’isolement, d’étiolement, de consanguinité, d’appauvrissement intellectuel et matériel, de rétrécissement durable de son univers ! Mais en restant maître chez soi, sans avoir besoin de composer, d’intégrer[1], d’assimiler[2], quel confort !

Dans l’autre, on prend le risque de l’ouverture, on peut se faire manger tout cru, manipuler par plus malin que soi, se faire exploiter sans vergogne dans un rapport de force violemment ou sournoisement déséquilibré. C’est aussi tenter la chance de rencontrer d’autres approches, d’autres univers, d’autres horizons à découvrir et à explorer. Le problème est bien, là, de réussir l’ouverture vers les autres.

C’est aussi vrai pour les fameux trois piliers du développement durable. Chacun se sent souvent plus particulièrement porteur d’un de ces piliers, la croissance économique, l’environnement ou l’équité sociale. Et là le choix se pose, entre la protection à tout prix de son domaine, envers et contre tous, en l’isolant si besoin est de toutes les autres préoccupations, ou bien en cherchant à ce que les autres approches gagnent aussi avec ses propres avancées. Il faut pour ça entrer dans l’univers des autres, et tenter de les intéresser, malgré les difficultés que cela comporte. Le développement durable est mal vu des tenants absolus d’un seul point de vue, des gardiens exclusifs d’un temple contre les autres. Les difficultés de dialogue entre les tenants des monuments historiques, des sites et des paysages, d’un côté, et des promoteurs des énergies renouvelables sont bien connues, chacun étant convaincu de la justesse de sa cause. Bien sûr, elles sont toutes deux bonnes, et chacun doit intégrer les préoccupations de l’autre, également légitime et importante[3]. De même, les protecteurs de la nature sont souvent inquiets face au développement durable, qui inscrit leur combat dans une logique plus vaste, multiforme en élargissant le panel des objectifs à atteindre.

Cette inquiétude est fille de l’expérience, qui illustre hélas de façon éloquente la célèbre fable du pot de fer et du pot de terre, mais elle n’est pas source de progrès. Elle traduit aussi un grand scepticisme devant l’idée que l’on puisse gagner sur plusieurs tableaux çà la fois, ce qui est justement la marque de fabrique du développement durable. La crainte du marché de dupes est bien présente, avec son corolaire, la  tentation de repli. Et on repart, chacun pour soi, avec ses lignes de défense, et des armes variées, puissance d’intervention, maîtrise d’un appareil économique, appui de la puissance publique, émotion de l’opinion, recours devant les tribunaux, mobilisation syndicale, etc. Le grand absent est le capital confiance, dont on a vu l’importance dans la caractérisation du développement durable[4].

La tentation est forte de revenir sur ses valeurs à soi à la première alerte, au premier doute, au premier échec, et à les défendre mordicus. Scrogneugneu !

Cette attitude est parfois nécessaire, quand on voit que tout fout le camp, qu’il est urgent de marquer un point d’arrêt, mais elle reste défensive, et ne peut être tenue éternellement. Chacun est condamné à rechercher comment intégrer l’univers des autres, pour voir comment y pousser ses propres pions, ses valeurs. Tout est bon pour cela, pour faire intégrer ses préoccupations par les autres, en proposant de nouvelles approches, en changeant d’optique ou d’angle d’attaque. Dans l’Art de la guerre, Sun Tzu nous dit en introduction que la guerre doit être évitée par tous les moyens, que c’est toujours un grand malheur, et ne donne la recette pour gagner la guerre que si on ne parvient pas à l’éviter. Le développement durable, c’est ça : il ne faut pas occulter le conflit entre les valeurs composant le développement durable, mais il faut tout faire pour le surmonter, car personne n’en sort vraiment gagnant.

Rechercher comment intégrer ses propres préoccupations dans l’univers des autres est une attitude beaucoup plus exigeante que de défendre ses valeurs en martyr, et c’est beaucoup plus fort quand on y arrive en termes d’efficacité de l’action.

Dans un concerto, chacun joue sa partition, mais chacun est habité de l’intégralité de l’œuvre qu’il interprète. Les autres sont les complices, ceux qui apportent le complément indispensable pour la réalisation de l’œuvre. Les autres, il y a peut-être malgré tout quelque chose à en tirer.

Prochaine chronique : Air



[1] Voir la Chronique Intégré, du 7 juillet 2006, et Coup de shampoing sur le développement durable, Editions IbisPresse

[2] Chronique du 12 février 2007

[3] Voir la chronique Paysage, du

[4] Chronique Capital, du 22 février 2007

Publié dans developpement-durable

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