Intensité

Publié le par Bidou

Voilà un mot clé dans l'univers du développement durable. Il nous rappelle que la nature est généreuse. L'abondance[1] des biens et des services qu'elle met à notre disposition nous apporte toutes les ressources dont nous avons besoin, mais à condition de bien gérer l'intensité des prélèvements que nous y faisons, et des rejets que nous dégageons après usage. La générosité de la nature doit rencontrer un peu de sagesse chez les humains. C'est pour ne pas avoir à se poser ces questions que le développement s'est fait résolument, depuis la révolution industrielle, par expansion du système. La dégradation du milieu et de la ressource conduisait à aller plus loin, sans vergogne, puisque le monde était infini. Il y avait bien eu, depuis l'antiquité la plus reculée, des désastres écologiques, mais ils étaient dus essentiellement à l'ignorance,  par exemple des mécanismes de salinisation des sols, et non à une politique d'exploitation « minière », qui relève de la politique de la terre brûlée. L'expansion a pris la place de l'intensification. Au lieu de mieux travailler la terre, d'utiliser toute la matière disponible - dans le cochon tout est bon - , la politique de l'écrémage a pris le dessus. On prend ce qui est facile à prélever, et on rejette le reste, sachant que quand la ressource sera épuisée, il suffira d'aller plus loin pour en trouver d'autres. L'eau du puits est polluée ? Il n'y a qu'à en creuser un autre, plus profond. Le poisson de surface est moins abondant ? Allons pêcher ceux des profondeurs.

Ce développement, fondé sur l'expansion, la colonisation de nouveaux espaces, l'appropriation de nouvelles ressources, a permis d'énormes progrès, mais il conduit à une concurrence sur les réserves à conquérir. L'image des pionniers américains dans leurs chariots, prêts à bondir pour marquer leur territoire sur de nouveaux territoires offerts à la colonisation, vient à l'esprit, et c'est bien une compétition entre les hommes ou leurs communautés qui est ouverte. Au fur et à mesure que les ressources disponibles se réduisent, la compétition devient de plus en plus âpre.

La nouvelle croissance que l'on peut souhaiter, nécessaire pour faire face aux besoins des neuf milliards d'êtres humains que nous serons en 2050, doit changer de nature : c'est l'intensification qui  en sera le ressort, c'est à dire la meilleure valorisation du patrimoine et des ressources, préservant ainsi les réserves pour des besoins futurs, sans priver pour autant nos contemporains de la qualité de vie à laquelle ils aspirent légitimement.

Ne nous trompons pas sur le sens de l'intensification. Il ne s'agit pas d'accroître des rendements coûte que coûte, en forçant la nature, en allant chercher la moindre particule utile en détruisant tout ce qui l'entoure. C'est l'intensité en service rendu qui doit nous guider, le maximum de service pour le minimum de ressource. L'expression intensité énergétique, parfois employée,  peut apporter quelque confusion dans la forme. L'objectif affiché est de réduire l'intensité énergétique, c'est à dire de réduire la quantité d'énergie incorporée pour vous rendre un service donné, par exemple vous loger avec tout le confort désirable. Ce n'est que la présentation symétrique de l'objectif d'intensification, où il est proposé d'accroître l'intensité de service rendu avec une quantité donnée d'énergie.

Intensification, donc, au lieu de expansion. Voilà une orientation claire pour une politique de développement durable. Elle a en outre le mérite de donner tout son sens au principe 25 de la déclaration de Rio : La paix, le développement et la protection de l'environnement sont interdépendants et indissociables. Ce principe, généreux, peut faire sourire, tellement il semble naïf et bien pensant. Mais ce basculement de l'expansion vers l'intensification, en est une traduction concrète. Si je mets toute mon énergie à mieux isoler ma maison, je ne suis plus en concurrence avec mon voisin pour l'accès aux sources d'énergie, ce qui devient très important le jour où celles-ci viennent à manquer. Et je vais plutôt collaborer avec lui pour chercher ensemble de bonnes idées pour mieux isoler, pour acheter ensemble des matériaux dont le prix sera plus faible en achat groupé. La croissance fondée sur l'expansion crée des conflits, celle fondée sur l'intensification conduit à des coopérations entre acteurs.

Nous le savons, notre empreinte écologique[2] est trop lourde. Cela fait déjà quelques années que l'humanité consomme plus que ce que la planète ne peut produire. Nous vivons sur notre capital, et cela ne suffit pas. Les populations les plus riches ne peuvent maintenir leur mode de vie sans que d'autres, très nombreuses,  ne restent au dessous des seuils de pauvreté. La politique d'expansion conduit à une politique d'apartheid mondial, avec des barrières et des murs[3] pour protéger les riches des pauvres, pourrait-on dire schématiquement. Si on accepte cette situation, le développement durable n'a pas grand sens, mais si on la rejette, pour des raisons philosophiques ou parce que l'on pense  qu'elle n'est pas durable au sens premier du terme, avec les grands mouvements de population et l'émergence des pays comme la Chine et l'Inde, il faut chercher un autre mode de développement, qui nous ramène progressivement vers l'équilibre : ne prélever que l'équivalent de la production courante d'une planète, et réduire les écarts entre le Nord et le Sud. Voilà une feuille de route pour tous les politiques, de l'ONU à chaque État ou collectivité territoriale. Une exigence à traduire à ces différentes échelles, mais aussi dans chaque grand domaine d'activité, pour chaque famille d'acteurs. Avec le développement durable, nous sommes bien au coeur de la vie politique, mais aussi au coeur de l'activité économique et sociale.

 Prochaine chronique : Univers



[1]   Chronique Abondance, du 19 mars 2007

[2]   Voir la chronique Hectare, du 28 juin 2006

[3]   Voir la chronique Mur, du 8 avril 2006

Publié dans developpement-durable

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