Pilon

Publié le par Bidou

Si l’on oublie la jambe de bois le Long John Silver, le pirate de l’île aux trésors de Robert Louis Stevenson, le pilon évoquera la volaille, et les ripailles dont chapons et poulardes étaient les vedettes. Rappelez-vous les menus des rois à Versailles, avec un  nombre de plats incroyable, auxquels les intéressés ne faisaient que toucher. Quel gâchis penserait-on, mais une volée de moineaux, l’entourage du roi en l’occurrence, se chargeait de faire bon usage des restes. Sans être rabat-joie à l’approche des fêtes, on peut douter que l’inflation de consommations de toutes natures ait comme corollaire une récupération spontanée et efficace du trop plein. Au plan culinaire, les repas de fêtes se conjuguent sûrement avec l’art d’accommoder les restes, mais que dire des accumulations de jouets et autres gadgets, mis en valeur par de superbes emballages qui parfois intéressent plus les enfants que leur contenu.

 

Le pilon, qui au sens premier sert à piler des grains, fait aujourd’hui référence à la société de consommation, c’est le papier, les livres et les journaux que l’on a imprimés et diffusés en excédent. On achève bien les bouquins, nous dit Edouard Launet[1] : 110 millions de livres finissent chaque année au pilon, soit environ le quart des 436 millions de livres imprimés chaque année. Il ne s’agit hélas que de la partie émergée d’un inquiétant iceberg, car les livres ne représentent que 6% du tonnage de « produits graphiques », pour reprendre le langage technique. C’est moins que les chutes ordinaires de fabrication, de l’ordre de 10 à 15% selon les produits, et qui sont récupérées et recyclées immédiatement.

 

Les gros bataillons sont fournis par la presse (37% du tonnage de papier graphique) et les éditions publicitaires (32%). On peut craindre le pire sur cette dernière catégorie, tant sur l’efficacité du service rendu que sur le taux de récupération et de recyclage. Plus de la moitié des imprimés publicitaires sont distribués directement dans les boîtes aux lettres, sans adresse particulière. On peut y ajouter la presse gratuite d’annonces, également distribuée en boîtes aux lettres, qui représente un quart des publicités. Quel est le sort réservé à ces tonnes de papier ainsi diffusées ? La part du recyclage doit être bien faible… Il y a bien l’autocollant « stop pub », distribué par le ministère de l’écologie et du développement durable, et diverses initiatives locales du même genre ; la fédération des entreprises de vente à distance, FEVAD, a bien créé une liste dite « Robinson », où les personnes qui ne veulent pas recevoir d’imprimés « non sollicités » peuvent s’inscrire ; on peut malgré tout penser que la plupart de ces papiers finissent rapidement à la poubelle, et pas forcément la bonne, celles des papiers ou des produits recyclables.

 

En ce qui concerne la presse, les invendus oscillent de 16 à 27% selon le type de magazine. Ils sont récupérés et recyclés, mais l’objectif est bien de diminuer ces taux, car ils représentent un coût économique et environnemental important : fabrication, mais aussi récupération,  transport et recyclage.

 

Au total, le retour direct à l’envoyeur est de l’ordre de 10%, qui s’ajoutent aux chutes évoquées ci-dessus.

 

La récupération de papiers après usage, par les collectivités ou les entreprises, constitue un gisement appréciable : 26% des documents imprimés, selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME)[2]. Au total, en combinant les taux de récupération dans le cycle de production et de commercialisation d’une part, et après usage d’autre part, la récupération des produits graphiques est de l’ordre de 40%, avec encore de bons gisements à exploiter. Le développement durable nous conduit à optimiser l’usage des ressources, et il y a encore des marges techniques dans ce domaine, sans aller jusqu’à remettre en question l’utilité des documents, ce qui serait d’une autre nature.

 

Pour que la boucle fonctionne bien, il faut encore que les papiers recyclés soient utilisés. Les éditeurs de journaux sont de bons élèves, et ils prennent à leur compte plus des deux tiers des tonnages recyclés, pour parvenir à près de 100% de papier recyclé pour leur usage. Les autres usages pour le papier d’écriture et de machine, stagnent à 15%. Il faudra crever ce plafond si les taux de recyclages augmentent, à moins que ce soit le nombre d’imprimés qui se réduise. Il faudrait alors en analyser précisément les causes, réduction de la production intellectuelle, ou meilleure adéquation à la demande, ce n’est pas la même chose.

 

Le pilon, instrument de développement durable ? Non, s’il conduit à une fuite en avant, à inonder de papiers les points de vente et les foyers, en se disant que l’on pourra toujours récupérer les surplus ; oui, s’il permet de recycler les papiers après un usage effectif, et parfois même plusieurs usages, l’écriture sur les deux faces d’une feuille par exemple !

 

 

 Prochaine chronique : Plastiques



[1] Edouard Launet : On achève bien les bouquins, Libération, 18 janvier 2005.

 

[2] ADEME, collection Repères, synthèse Imprimés, données 2004 (novembre 2006)

 

Publié dans developpement-durable

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Y
J'ai beaucoup apprécié ce coup de shampoing sur ledéveloppement durable.Et j'espère qu'il sera abondamment lu, connu, et repris lors du "Grenelle de l'environnement", qui est une démarche dont on peut tout attendre.C'est donc avec surprise que j'ai trouvé dans l'article sur le pilon uneposition qui me semble en contradiction avec la démarche générale.A propos du papier.Dans la cadre de la préférence des flux sur l'usage du stock, la cellulose végétale mérite d'être préférée aux hydrocarbures fossiles.Deux usages possibles de ces dérivés du bois semblent oubliés dansl'article: celui de l'emballage, en carton ou en sac, qui valorise les capacités de résistance de la fibrre, et ensuite la valeur du papier en tant que combustible: quand il brûle dans une centrale de traitement des ordures ménagères, il remplace, au bout du compte, l'hydrocarbure souvent mobilisé pour apporter les calories indispensables à la combustion.A moins que le traitement en compostage soit préféré: les fibres de cellulose évoluent vers l'humus.Tant qu'il y a un usage possible de la fibre recyclée en carton, ou en emballage, je lui accorderai ma préférence, par rapport à une fabrication de papier pour l'impression écriture (sauf le journal), car retrouver l'exigence de blancheur et de netteté que mes yeux usés souhaitent imposent les nettoyages, polluants, des encres.Sans même évoquer, ce que je suspecte dans un catalogue de la FRAPNA, de proposer des usages dans le papier sanitaire: je ne suis pas certain qu'il soit possible d'éliminer tous les dérivés des encres, notamment métaux lourds, dans les papiers recyclés, et je suis réticent dans les contacts entre les bébés et certains de ces atomes . Pourquoi ne pas préférer les fibres écrues pour TOUS les usages de papiers sanitaires. Certes, cette couleur peut apparaître au client comme connotée, mais ce n'est qu'une mode à lancer: par destination, ces papiers ne servent qu'une seule fois, et je préfère avoir une certitude de présence de lignine beige aux soupçons que peuvent faire naître le grisâtre des fibres recyclées.Idéalement, la boucle tourne:- des fibres "vierges" pour les sacs petite et grande contenance, pour les papiers sanitaires (non blanchis!), pour l'impression écriture,- des fibres recyclées pour le journal quotidien, pour le carton plat ou ondulé,- et une destination ultime pour la combustion (substitution aux hydrocarbures fossiles)ou oour le compost...Ce qui est à lier avec une économie dans les usages, et dans la rcupération, bien évidemment.bien cordialement,P.S.: pourquoi n'y-a-t-il jamais d'évocation, à propos de l'effet de serre, de la fabrication du ciment, avec la DOUBLE production de CO2, pour l'apport calorifique, d'abord, mais surtout par la transformation fondamentale du carbonate de calcium en chaux?
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