Grenadier

Publié le par Bidou

Nous allons parler de poisson. Le grenadier est un poisson des grandes profondeurs. Avec l’empereur,  le sabre noir, la lingue bleue et le siki, requin des grands fonds,  il vivait des jours heureux, loin des regards. Comme il est très laid, les rares fois où il était pêché, par mégarde, il était vite rejeté par-dessus bord. On l’appelle queue de rat ! Les premiers essais de commercialisation se sont soldés par des échecs, tellement ces poissons sont incongrus dans notre culture culinaire.

 

 

C’était trop beau. La surexploitation des poissons habituels, ceux qui vivent à quelques mètres ou dizaines de mètres de la surface, a changé la donne. Il faut aller plus profond chercher de nouveaux poissons. On commence à les pêcher sérieusement, en France, depuis la fin des années 1980. Il faut s’équiper, pour capturer ces poissons qui vivent à plus de 400 mètres de fond. Il faut savoir les repérer, avec des sondeurs très performants ; il faut des chaluts adaptés aux profondeurs. Tout cela coûte cher, et il a fallu la forte baisse des prises de pêche traditionnelle, en particulier le lieu noir, pour que cette ressource devienne attractive. Ce sont des gros chalutiers qui pratiquent cette pêche, avec des treuils de grande capacité, pour immerger près de 3000 mètres de câble, et remonter rapidement le chalut.

 

 

 

Ces poissons des profondeurs sont mal connus. On sait à présent qu’ils vivent vieux, un peu comme les humains, plusieurs dizaines d’années, et parfois plus de cent ans pour l’empereur, qui peut atteindre 150 ans. Longue durée de vie signifie souvent croissance lente, fécondité modeste, renouvellement des générations sur un rythme très faible. Ces poissons n’échappent pas à la règle. Il faut une vingtaine d’années pour qu’une génération d’empereurs se renouvelle, contre 8 seulement pour les morues. La ressource apparaît au départ très abondante car elle n’a jamais été exploitée. Les chaluts des grands fonds remontent à la surface quantités de ces poissons, adultes ou non, car la sélectivité de cette pêche est faible. Au bout de quelques années, premiers signes d’alerte : la taille des prises décroît sensiblement. En quinze ans, elle aurait baissé de 25% à 57% selon les espèces, d’après des travaux canadiens publiés par la revue Nature[1]. La sérénité qui régnait il y a dix ans s’est transformée en inquiétude pour l’avenir de ces populations de poissons : Les études les plus récentes montrent que les effectifs se sont effondrés, au delà de 90% pour certaines espèces.

 

 

 

Que faire, dans ces conditions ? Ce sont, en France, 3000 emplois qui sont concernés, et les investissements qu’il a fallu faire pour la pêche en eaux profondes sont loin d’être amortis. Par méconnaissance de la biologie de ces poissons, nous nous sommes lancés dans une politique qui s’avère ne pas être durable. La Commission européenne préconise des moratoires, ou des baisses très fortes des prises, de « l’effort de pêche » comme on dit dans le milieu, pour permettre la sauvegarde des espèces gravement mises en danger. Comment assurer dans ces conditions la survie de la flotte et des personnels ? Ecologie et économie apparaissent ici totalement liés, et la non prise en compte de la première entraîne la seconde dans une impasse. Sans compter que ces chaluts des grands fonds provoquent des dégâts importants sur l’environnement marin, avec des effets multiples qui s’ajoutent aux problèmes des pêcheurs de grenadiers et autres empereurs.

 

 

 

Cette affaire des grands fonds marins constitue une remarquable leçon de développement durable. Nous devons sortir d’une ère d’exploitation « minière » de la planète. Depuis la révolution industrielle, les économies « modernes » ont pris le parti de privilégier l’exploitation du stock de ressources disponibles sur la gestion « en bon père de famille » du flux de richesses créées chaque année, et le bon usage de ces ressources, en réponse à une demande. Une ressource vient à manquer ? Et bien, allons la chercher un peu plus loin, un peu plus profond. On pensait alors que le monde était infini, et ses ressources immenses. « Croissez et multipliez » était la maxime implicite des initiatives humaines. Le résultat est devant nous : Prenons l’exemple de l’eau. Quand elle manque en surface, ou quand elle est inexploitable pour cause de pollution, on creuse un peu plus profond, on exploite une nouvelle nappe, parfois des nappes fossiles, sans chercher réellement à lutter contre les fuites et améliorer le rendement des installations. Tant pis pour les nappes polluées, rapidement abandonnées. On les sort des statistiques sur la qualité de la ressource, où le ne considère que les nappes exploitées, et on les oublie vite.

 

 

 

La situation de la pêche classique donne une autre illustration du problème, quand il faut imposer des quotas pour préserver l’avenir. Les pêcheurs prétendent parfois qu’il y a un choix qui est fait entre eux et les poissons, comme si le pêcheur et le poisson étaient séparables ! L’un ne va pas sans l’autre. Le choix est entre le présent et le futur, et le débat est rendu d’autant plus compliqué qu’il y a toujours des incertitudes sur l’état exact des populations de poissons. Ajoutons la variable de la qualité du milieu marin, qui ne dépend pas des pêcheurs mais des activités continentales, et on voit que l’équation, aux variables multiples, n’est pas simple à résoudre. Ce n’est pas une raison pour ne pas s’y attaquer, en associant toutes les « parties prenantes », qui débordent largement le milieu de la pêche. Le dernier numéro de la revue Science , daté du 3 novembre, confirme le phénomène pour les variétés de surface, en plus de celles des profondeurs dont nous venons de parler. Surpêche et dégradation des milieux marins menacent une ressource essentielle pour l’humanité.

 

 

 

Ce n’est pas parce qu’une ressource est renouvelable qu’elle est inépuisable. Il faut qu’elle se régénère, et ça prend du temps. Les ressources renouvelables sont souvent surexploitées, parfois compromises. On a parlé dans ce blog des éléphants[2], parlons aussi de certaines forêts tropicales, poussées lentement sur de sols fragiles, et coupées brutalement sans espoir de repousse. Ce n’est pas grave, allons plus loin, il y d’autres forêts ! Cette époque, que l’on peut qualifier de « minière », doit prendre fin.

 

 

 

On parle parfois de concilier économie et écologie, comme si elles étaient antagonistes ! Elles sont, vous l’avez compris, complémentaires, et si on intègre le temps, la durée, l’une ne va pas sans l’autre, pour le profit de l’humanité.

Prochaine chronique : Sélection

 

 

 



[1] Nature, vol. 439, p. 29, 5 janvier 2006, cité sur le magazine du site Science Actualités de la Cité des sciences et de l’industrie « Planet Mag » du 7 mars 2006

 

 

 

[2] Le 31 octobre 2006

 

 

 

Publié dans developpement-durable

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S
Des collegues a moi essaient de poster de commentaires et il n'arrivent pas a faire...il fallait, peut-etre, faire un control du bon fonctionnement de votre blog...
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S
Entendu....je suis, à propos, convaincue que notre logo ( et mission ) sd-med, intègre efficacement votre dernier argument, éco-nomie et éco-logie, au travers d'une éco-philosophie, voire de la philosophie de l'action..., ce qui est, par ailleurs,  une idée à vous...merci.
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